"SA MORT EST TOUJOURS AUSSI INSENSÉE"
- GUY MONGRAIN

Le dimanche 10 août 1997, le Québec apprenait avec stupéfaction le décès tragique de Marie-Soleil Tougas. Huit mois après ce triste événement, dans le cadre du Gala de la Griffe d'or, ses collègues de travail et ses amis se souviennent de celle qui a su semer chez eux quelque chose d'inoubliable...

PAR PIERRE PLANTE - 7 JOURS

Pendant plusieurs années, Marie-Soleil Tougas a animé avec Guy Mongrain l'émission Fort Boyard. Même si ces deux animateurs étaient de générations différentes, leur complicité a été immédiate et chaleureuse - et des plus enviables. À la veille de retourner sur les lieux qui lui rappelleront mille et un souvenirs, Guy Mongrain nous parle avec tendresse de celle qu'il considère aujourd'hui comme l'un de ses anges gardiens...

Guy, qu'avez-vous ressenti durant les jours qui ont suivi le décès de Marie-Soleil ?
Comme la majorité des gens, j'ai longuement cherché à comprendre l'incompréhensible, si je puis dire. Et, comme pour rendre son départ encore plus difficile, tout semblait nous rappeler à quel point elle était présente dans notre vie. Les événements marquand le lancement de la programmation d'automne de TVA, dans lesquels Marie-Soleil avait toujours été très engagée, devaient avoir lieu quelque temps après. Personnellement - et ç'a sûrement été le cas pour d'autres -, je me disais que j'allais la rencontrer dans les studios de TVA, et ce, même quelques semaines après son décès. J'imaginais quelle allait tout bonnement surgir de derrière un des décors, comme si tout ça n'avait été qu'une bien mauvaise blague... Malheureusement, j'ai dû me rendre à l'évidence : son départ était irrémédiable. Ça ressemblait vraiment à un cauchemar au cours duquel on ne demande qu'à se réveiller... Pour moi, sa mort était et est toujours aussi insensée...

Comment votre deuil a-t-il évolué ?
Je dois dire que ça s'est fait très lentement. Il pouvait difficilement en être autrement puisqu'au cours des premiers mois les gens ne me parlaient que de ça. Alors, conséquemment, ç'a eu pour effet de prolonger ma réflexion, mon incompréhension et mes interrogations.

À un moment donné, avez-vous ressenti de la colère à cause de ce triste événement ?
J'aurais ressenti de la colère et une grande frustration si Marie-Soleil avait été victime d'un acte criminel, mais ça n'a pas été le cas. Sa mort est la conséquence d'un accident bête. Ce sera toujours difficile pour moi d'accepter qu'un incident de la sorte ait arraché à la vie une jeune femme de 27 ans que j'adorais. Mais puisque je suis impuissant à changer le cours des événements, il faut que je prenne conscience que c'est quelque chose qui nous guette tous...

Huit mois après le décès de Marie-Soleil, où en êtes-vous dans votre réflexion ?
Il y a eu une évolution. Aujourd'hui, je suis plus paisible quant aux événements du mois d'août dernier. Je dois avouer que tout ça est devenu pour moi une source de lumière et d'inspiration, notamment lorsque je suis dans le creux de la vague ou que je traverse les moments de remise en question auxquels personne n'échappe. Repenser à ce petit bout de femme qui ne se laissait jamais abattre par quoi que ce soit est très motivant et inspirant. Elle était si pétillante !! On vit tous des moments difficiles; lorsque ça m'arrive et que je suis en pleine réflexion, je souhaite que Marie-Soleil me donne cette force qui la caractérisait, qu'elle m'aide à me rappeler combien je suis chanceux d'exercer un métier comme le mien et à quel point je suis privilégié de faire ce que j'aime.

Est-ce elle encore présente dans vos pensées, dans votre vie ?
Oui, c'est certain. J'ai aussi des photos d'elle, que je regarde avec beaucoup de tendresse. Je dirais que, malgré la peine, il faut se laisser habiter par le deuil. J'ai vécu ça au cours des dernières années, après le décès de mon père et de ma mère. J'ai laissé de la place en moi à mes parents, de manière à ce qu'ils deviennent mes anges gardiens. Évidemment, j'ai ressenti un manque épouvantable mais, en revanche, aujourd'hui, ils continuent de faire partie de ma vie d'une autre façon. Par ailleurs, je pense souvent aux parents de Marie-Soleil, parce que je sais que son départ a été une énorme déchirure pour eux, et parce qu'il n'est pas commun dans la vie de survivre à ses enfants.

Vous retournez à Fort Boyard au mois de juin. Ce sera la première fois que vous y allez depuis le décès de Marie-Soleil. D'après vous, quelle sera votre réaction ?
Je ne sais pas. Toutefois, je sais très bien ce que je ferai en arrivant au fort. J'irai dans la salle où se trouvent les grosses jarres dans lesquelles Marie-Soleil avait dû plonger les mains au cours d'une épreuve. Les téléspectateurs se souviendront qu'à un moment donné, pour retrouver sa concentration, elle avait violemment frappé le mur de la porte d'entrée, tout en demandant aux membres de son équipe de se taire. Eh bien, aussi étrange que cela puisse paraître, l'empreinte de sa main est encore là, sur le mur !! Je me rendrai donc dans cette pièce pour m'accorder un moment de réflexion avant de recommencer à travailler. Et je lui demanderai sa bienveillante protection pour que tout se déroule comme elle l'aurait souhaité... Il va y avoir un contact, si je puis dire.

À quel moment vous a-t-elle le plus ému ?
Elle m'a ému à de nombreuses occasions. Il faut savoir que Marie-Soleil était ce qu'on appelle une boule d'émotions; de plus, elle était extrêmement sensible à tout ce que les autres vivaient. Chaque petit geste comptait pour elle. Il lui est arrivé d'être triste pour les membres d'une équipe, parce qu'ils n'avaient pas pu trouver le bon mot de code. Dans ces moments-là, comme elle était d'une grande transparence, on pouvait voir qu'elle était affectée. Je garde aussi d'elle le souvenir d'une jeune femme qui détestait par-dessus tout l'injustice. Pour elle, c'était quelque chose d'inadmissible.

Y a-t-il des choses que vous auriez aimé partager avec elle, mais que vous n'avez pas eu le temps de lui confier ?
Sincèrement, je ne suis pas du genre à vivre avec des "j'aurais dû..." Marie-Soleil et moi nous parlions franchement. Je n'ai jamais caché l'admiration que j'éprouvais pour elle, tant en raison de sa personnalité que de ses actes. C'était une jeune femme qui avait des valeurs profondes et de grandes qualités. Le plus beau compliment qu'elle m'ait fait au fil des ans a été de me dire qu'à ses yeux j'étais un gentleman. Cette délicatesse de sa part m'a beaucoup touché.

Comment était-ce de travailler avec Marie-Soleil ?
Avec elle, il n'y avait jamais de "tirage de couvertes", pour employer une expression bien de chez nous. Une sorte de loi implicite existait pour elle : ne jamais chercher à tirer le tapis sous les pieds de l'autre. Cette fille-là a pleinement mérité son succès, parce qu'elle s'est consacrée entièrement à chacun de ses engagements et, surtout, parce qu'elle n'a jamais rien volé à personne.

Est-ce qu'elle vous manque ?
Non seulement elle me manquera toujours, mais je ne pourrai jamais l'oublier. D'ailleurs, la pire chose qui puisse arriver est qu'elle sombre dans l'oubli, que les gens finissent par effacer de leur mémoire tout ce qu'elle a accompli et tout ce qu'elle nous a apportés. Ce serait une véritable injustice. Et quand on sait à quel point elle détestait l'injustice... Une chose est certaine : même si elle n'avait que 27 ans, Marie-Soleil a marqué l'histoire à sa façon et, en ce qui me concerne, très peu de personnes pouvaient l'écrire en si belles lettres...